dimanche 30 juillet 2017

Le jour où j'ai été dégouté de la monoculture.

Au départ, des amis dorment à la maison pour profiter de la fête des Lumières. Ils nous proposent en échange de profiter de leur maison de Royan. S'en suit un débat sur comment y aller.
En voiture, partant de Lyon c'est long, c'est chiant.
En train c'est cher, il faut passer par Paris, se taper des détours inutiles.

Je garde ça au coin de ma tête.
Puis j'y réfléchis et je me dis, pourquoi pas y aller à vélo en Juillet? J'ai pédalé toute l'année, j'ai un bon vélo, ça me fait un projet concret, réaliser enfin ma French Livide.
L'année dernière j'avais échoué, faute d'un vélo adapté, d'une condition moyenne, j'avais laissé mes genoux dans un pierrier. Mais cette année je suis en forme et mon matos est vraiment idéal pour traverser le Massif Central à VTT.
Je remarque que le GR4 part de Royan, passe à Clermont puis redescend vers le Sud. Je n'ai plus qu'à tracer un Lyon-Clermont, au pif et rejoindre le GR.

J'ai détaillé le matos dans l'article précédent, reste à voir si ça ira.
Mais j'angoisse. C'est un exercice difficile que de m'arracher à mon petit confort pour partir de chez moi pour une durée indéterminée, et effectuer un effort intense, chaque jour, pour arriver à l'Atlantique.
Surtout je ne sais pas si j'aurais le niveau, les capacités, pour tenir le coup. Je ne suis pas habitué, je ne suis ni un sportif ni un battant. Mais j'ai envie, même j'ai besoin de me prouver que j'en suis capable.

Le jeudi 20 Juillet, mon vélo est prêt, la roue avant fuit un peu, je remplis ma poche à eau et c'est parti.
Direction le camping de Feurs. Il fait chaud, y'a du D+, je pousse un peu, j'en chie. Je vois Lyon derrière moi, ça y est c'est fait j'ai décollé.
J'ai bien fait de prendre mon VTT, le terrain n'est pas Gravel® du tout. Les descentes sont techniques avec un vélo chargé et je suis bien content d'avoir remplacé mes freins Spyres par des MT2. Le développement 32/42 est salutaire.





J'arrive au camping de Feurs vers 16h, après 7h de route. C'est pas tant mais ça suffit pour me claquer. Genre 70b et 1500d+. En tout terrain. Rien à signaler.

Je passe une première nuit tranquille et je renquille le lendemain direction Courpière. Encore du d+ mais d'un seul coup, suivi de descentes graveleuses ou très rocailleuses.







 Mais rien à faire, je tiens le coup et je campe à Courpière sous la pluie.
Le troisième jour m'intimide. En effet je dois rejoindre Clermont puis aller au pied du Puy de Dôme et choper le GR.
Arrivé à Cournon je croise Geekatori, par hasard et j'aperçois enfin Clermont. Ça me chamboule un peu. Lier à vélo la ville où j'ai étudié, pour simplement la traverser et l'ignorer, cela me rend à la fois très excité et assez anxieux.


La montée de Royat me sèche, mais une fois au pied du Puy, je sens que c'est fait, que j'ai passé un cap.
Je sens que prendre le GR va me faire basculer dans l'autre partie de l'aventure.
En effet, je coule jusqu'à Pontgibaud par des sentiers bien poncés et super agréables.



 Mais c'est le lendemain, le dimanche 23 que j’éprouve enfin le plus grand plaisir à barouder. Je lie Montfermy et j'attaque le GR4 qui me mènera à Aubusson.
Du relief, du d+ facile, mais surtout un terrain très joueur. Entre courtes montées poussées ou enroulées au 42, des descentes bien cornues. Les rayons craquent, les freins chauffent et le mollet jailli. Je croise des tourbières, de jolis étangs Dombesques et des petits sentiers sinueux.






J'arrive à Aubusson éclaté, fourbu, mais ravi. Mon harnais chinois (Lotus) est moins content. Le vélo lui, commence à être bien sale mais tourne bien.

J'aurai bien suivi ma trace GPS, le fléchage quant à lui reste un peu aléatoire et ne correspond pas toujours au gpx de gr.info. Mais le principal est d'arriver au bon endroit.



 Aubusson - Chatelus  commence sous la pluie, mais le plaisir est le même que la veille. Visiblement la Creuse est pleine de merveilles, pas hors d'atteinte.


 Chatelus -Aixe sur Vienne. Les sapins laissent place au bocage, en partie détruit par l’expansion de Limoges. Je suis sidéré par l'intensification du nombre de pavillons "carton" que je croise. En effet, j'ai quitté la Creuse et désormais le Limousin semble plus peuplé. Mais les gens "font construire" des habitations en petits bourgs, toutes les mêmes, toutes pareilles.
Un pavillon en béton, rez de chaussé, fenêtres plastiques, volets roulants, garage avec Duster et palissade en PVC. Par milliers. C'est hallucinant.
Je crois que le passage du vide à l'habité m'a vraiment fait sauter aux yeux ce problème périurbain, qui allait devenir finalement bien rural. Outre la stupidité écologique de la démarche, l'ineptie patrimoniale prédomine largement.
J'avais apprécié les jolies masures perdues au fond des ravines, je suis débecté par ce nouvel habitat clairsemé qui gangrène (depuis des années, je suis pas naïf) les bouchures limousines.
Ce n'est absolument pas flagrant en Allier par exemple, ce phénomène y est beaucoup moins accentué. Et la suite de mon voyage ne fera qu’empirer mon ressenti.


Heureusement il y a toujours des mûres dans les bouchures.


Et ma dose de gluten me relancera pour un tour.


Aixe - Champagnac - pour finalement m’arrêter au Lac de Saint Esthèphe.
Rouler n'est plus vraiment une difficulté, j'encaisse facilement le D+ syndical, je me faufile entre les champs, je passe mille gués. Mon rythme de croisière est établi. Je chante, je baguenaude, je savoure les méandres bucoliques que le GR m'impose. En fait, j'ai l'habitude, le chemin de campagne c'est ce que je préfère.


Il pleut. De Saint Estèphe je rejoins une voie verte qui me mènera près d’Angoulême. J'ai le cœur moins frivole que la veille, ça doit être l'humidité. Le temps est moche puis la route est moche. J'atteins les rives de la Charente pour une étape à Sireuil où la pluie a fait fuir les campeurs.



Ça y est, ça coule. Je me laisse voguer le long de la Charente, jusqu'à Cognac, au soleil sur les chemins de halage. Une étape courte, une étape douce, on croirait entendre du Galliano.


Si le GR pousse par Saintes jusqu'à longer le littoral, le détour est de 140km. Contre 80 direct pour Royan à travers le Far-West.
Je me fais donc une étape droite, Radaviste, filant à travers les champs et les vignes. J'avoue, au bout de 10 jours j'en ai un peu plein le cul et j'ai hâte d'enfin poser mes pieds dans l'eau.


Je me retrouve assez fier et satisfait quand j'atteins, enfin, la côte Atlantique.



Au final j'aurai croisé
-des dizaines de chatons
-des chiens gentils
-des chiens méchants
-des chevreuils
-des milliers de bovins de toutes les couleurs
-des centaines de Duster blancs
-pas une seule crevaison
-pas une seule piqûre d'ortie, ce qui est étonnant
-des centaines de gens à qui j'ai dit bonjour et qui me l'ont retourné, avec le timbre franc et sincère du respect humain
-des dizaines d'automobilistes inconscients roulants comme des cons, sans doute pressés, probablement méprisables
-un gros paquet de D+ avec ou sans cailloux, pour un gros rabibochage, une bonne guerre
ni rien ni personne me disant que je n'avais "pas le droit de"
-seulement deux couples de randonneurs et un tout seul, sur le tracé du GR
-aucune douleur ni aucun soucis mécanique, ce qui m'a gardé serein et apaisé

Pis surtout j'ai fait tout ce chemin avec le pneu avant à l'envers !

Pour qui aimerait reprendre le parcours, je le déconseille fortement aux randonneurs à vélos dits Gravel®. Chargé, cela peut devenir une véritable galère. Je n'ai pas un grand niveau, à VTT le parcours est facile. Mais par expérience, je préfère pousser un VTT emballé (bikepacké) qu'un VTC gravier avec des sacoches devant comme c'est la mode à Grenoble. Et puis des chaussure plates, de type Five Ten Freerider. Cela m'a épargné bien des soucis.
Il y a un sac que je n'ai pas utilisé, celui des liquettes, que je n'ai pas détaché. Je n'ai pas eu trop chaud, je n'ai pas eu froid, je n'ai pas eu faim et surtout je ne me suis jamais poussé à bout. Je n'étais pas venu pour souffrir, d'accord ?!

Je tiens aussi à dire que je n'ai aucune prétention à la performance. J'ai pris du plaisir à m'infliger 10 jours de contraintes physiques et mentales. Mon défi était de partir seul, de subir la difficulté sans endommager les autres et avancer à mon rythme, évitant ainsi l'épuisement et la blessure.
La réussite m'apporte alors une nouvelle satisfaction, celle d'avoir vaincu ma crainte.
Et ce n'est pas sans enthousiasme que je rêve d'un voyage tranquille, moins difficile, mais avec les copains, pour cette fois partager l'effort et la découverte.

Quant à la monoculture, on en parlera plus tard.

2 commentaires:

  1. Ouah, ça donne envie. Tu fais aussi le retour en vélo :). Tu parles de dizaine d'automobilistes inconscient, tu as du beaucoup rouler sur la route?

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  2. A chaque fois que tu prends une portion de bitume, après 4 heures de pampa, le moindre véhicule motorisé te semble meurtrier...

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